Le 7 août 1970, la vie d’Angela Davis bouscule lorsqu’une tentative d’évasion de trois prisonniers se solde par la mort d’un juge fédéral, et pour lequel elle est mise en cause. Retour sur un parcours exceptionnel.
Une Femme Communiste Noire
Angela Yvonne Davis nait le 26 janvier 1944 à Birmingham, en Alabama dans le sud des États-Unis. Son enfance est marquée par le racisme et les humiliations de la ségrégation raciale dans son quartier. Sa famille était la première famille noire à s’installer dans leur quartier.
« De l’autre côté de la rue où nous habitions avec mes parents, une famille noire a acheté une maison. Petit problème, seuls des Blancs vivaient de ce côté. Une nuit, ils ont fait sauter cette maison. J’étais une petite fille de 3 ans, je me souviens encore du bruit tonitruant de l’explosion. »
Interview d’Angela Davis par le magazine ELLE – Mars 2013
En 1958 à 14 ans, elle fuit l’Alabama pour New-York, pour étudier dans le cadre d’un programme qui aidait les Noirs du Sud. Cette étape marque un tournant dans son évolution militante, lorsqu’elle devient membre d’un mouvement de jeunesse communiste. Elle explique alors que “toutes les humiliations de [son] enfance ont trouvé une explication : l’oppression des Noirs par les Blancs, le mépris et la haine, étaient sous-tendus par un système capitaliste sans pitié qui en tirait des bénéfices. De cette prise de conscience est né [son] engagement politique.”
Elle poursuit ses études au Massachusetts, puis en Europe où elle étudie notamment la philosophie à Francfort. Mais, frustrée d’être si loin du mouvement de libération « Black Power » qui émerge aux États-Unis, elle décide de rentrer dans son pays afin de rejoindre la lutte.
Elle choisit un poste d’assistante en philosophie allemande à l’université de UCLA en Californie. Mais elle en est renvoyée en Septembre 1969. Le motif? Elle est inscrite au Parti Communiste. Et dans les années de la guerre froide, il ne fait pas bon afficher son soutien aux Rouges. Surtout, quand on est une femme. Et Noire.
Au début des années 1970, elle est notamment investie dans le comité de soutien aux « Frères de Soledad », trois prisonniers noirs américains, dont George Jackson. En 1970, le frère de celui-ci organise une prise d’otages dans le tribunal, tentative désespérée pour faire libérer les prisonniers, qui échoue et fera quatre morts, dont un juge.
La Cavale pour la Liberté
Son nom apparait sur le document de la vente des armes ayant servies à la tentative d’évasion, et le FBI l’accuse d’avoir fourni l’arme du crime. Qualifiée de « terroriste », elle est classée sur la liste des dix personnes les plus recherchées des Etats-Unis. Elle part en cavale de Los Angeles jusqu’à New York, ce qui semble l’accuser. Elle est arrêtée le 13 Octobre 1970, puis emprisonnée pendant 16 mois. Angela Davis risque alors la peine de mort pour meurtre, kidnapping et conspiration.
Rapidement, ses proches organise un Comité de Soutien Pour la Libération d’Angela (“Free Angela”) qui aura un retentissement international.
En France, des personnalités comme Jean-Paul Sartre et Louis Aragon prennent position pour la soutenir. John Lennon et Yoko Ono écrivent la chanson Angela, et les Rolling Stones Sweet Black Angel. Cette pression médiatique internationale aboutira à sa libération sous caution en Février 1972. Aretha Franklin lui promet de payer sa caution. Mais c’est finalement un fermier blanc de Californie qui paye les 102 000 dollars de caution. Le Ku Klux Klan a débarqué chez lui et a commencé à abattre son bétail en guise de représailles.
Un Procès Historique
Angela Davis assiste donc libre à son procès en Mai 1972. Elle entre d’ailleurs dans la salle d’audience en levant le poing. Après des semaines de procès, et 13 heures de délibération, le jury, entièrement Blanc, l’acquitte enfin le 4 Juin 1972.
Les mesures d’encadrement de son procès sont historiques, et montrent à quel point on veut la faire passer pour une dangereuse terroriste. Pour accéder à la salle d’audience, un dispositif de sécurité est monté.
Une Icône est Née
Après sa libération, Angela Davis devient une militante féministe et dénonce l’hypocrisie des hommes se battant pour une égalité qu’ils n’accordent pourtant pas à leurs sœurs de lutte. Elle déclarera notamment que pour elle « un authentique mouvement de libération doit lutter contre toutes les formes de domination : l’homme noir ne peut se libérer s’il continue d’asservir sa femme et sa mère ». Dans son militantisme féministe elle affirmera que les leaders noirs de l’époque confondent « leurs activités politiques avec l’affirmation de leur virilité ». Angela Davis réalise alors que l’émancipation de la femme noire passe par plusieurs combats : celui contre le racisme, le sexisme ainsi que la lutte des classes.
Pour elle, le communisme, la lutte pour les droits civiques et le féminisme sont intimement liés. « Ma conception du féminisme est celle d’une volonté d’émancipation qui dépasse les frontières établies. Les questions de sexualité, de race, de classe et de genre sont intimement liées ». (Source : « L’Express »)
Le saviez-vous ? Angela Davis est en plus vegan !
Je ne dis généralement pas que je suis vegan, mais la situation a changé. Et je pense que c’est le bon moment pour en parler parce que cela fait partie d’une perspective révolutionnaire. Comment pourrions-nous non seulement découvrir plus de relations en compassion avec les êtres humains, mais aussi développer plus de relations en compassion avec les autres créatures avec qui nous partageons cette planète. Ce qui voudrait dire remettre en question la totalité de la manière capitaliste industrielle de production alimentaire. Cela voudrait dire d’être conscient en roulant sur l’autoroute et en voyant les vaches dans les ranchs. La plupart des gens ne pensent pas au fait qu’ils mangent des animaux. Lorsqu’ils mangent un steak ou un poulet, la plupart des gens ne pensant pas à l’énorme souffrance que ces animaux endurent juste pour devenir des produits alimentaires destinés à être consommés par des êtres humains. […] Nous ne pensons pas aux relations que les objects incarnent, que cela soit notre nourriture, nos vêtements ou notre iPad. […] Ce serait vraiment révolutionnaire de créer l’habitude d’imaginer les relations humaines et non-humaines qui sont induites par tous les objets qui font partie de notre environnement.
À propos de la Révolution: Une Conversation Entre Grace Lee Boggs et Angela Davis” le 2 Mars 2012 au Pauley Ballroom, University of California, Berkeley.
Extrait visible sur YouTube. Toute la conversation est disponible en anglais.
Son héritage
Aujourd’hui, Angela Davis est toujours considérée comme l’une des plus grandes figures de la lutte pour l’égalité des afro-américains aux États-Unis et a reçu de nombreux prix pour ses engagements. Elle est ainsi entrée au National Women Hall of Fame en 2019. En 2020, elle est nommée « femme de l’année 1971 » par le Time, lors d’un numéro spécial retraçant les 100 femmes qui ont marqué l’histoire, à l’occasion des 100 ans du droit de vote des femmes aux États-Unis (1920). Le Time l’a aussi classée parmi les 100 Personnes les plus Influentes en 2020.
Son héritage est éternel; ancré dans sa vérité, il incite les générations futures au courage. Enfant, les amis de sa famille ont fait partie des jeunes filles tuées dans l’attentat à la bombe de 1963 organisé par le Ku Klux Klan dans l’Eglise Baptiste de la 16th Street. Lorsqu’elle était leader politique, elle a été attaquée, chassée et emprisonnée; elle s’est levée contre un système raciste. Elle a vu et assisté à tout, et elle continue d’inspirer, d’éduquer et de résister à l’oppression.
Common – Time Magazine