Un sac en cuir, on en a tous eu un, deux, trois.. ou plus. Et puis un jour, il y a quelques années, je me suis demandé si c’était vraiment le mieux. Alors j’ai lu, regardé des documentaires, et ce que j’ai découvert m’a fait ne plus jamais acheter de cuir.
Origine du cuir
Revenons en au début, à l’origine du cuir. Les chercheurs estiment que les premières peaux traitées datent de l’an -17.000 avant JC. Cependant, cette estimation n’est qu’indirecte, et se déduit des outils qui auraient servi au travail du cuir. À cette époque, les hominidés utilisaient du silex et des coquillages pour traiter les peaux d’animaux. Et pour les rendre imputrescibles, ils les soumettaient à l’action de la fumée. Vers le VIIIe siècle après J.-C., les Sarrasins apportent en Europe une nouvelle méthode, le tannage à l’alun.
Aujourd’hui, il y a 2 méthodes de tannage. Mais on y reviendra. Retenez juste pour l’instant que la découverte du tannage des peaux d’animaux date d’il y a vraiment longtemps. Du temps où on n’avait pas l’écriture.
Et alors, vous allez me dire que si on mange de la viande, le cuir c’est du recyclage. N’est-ce pas ?
Sauf que… pas vraiment.
Un recyclage rentable
Le cuir concentrerait entre 10 et 60 % de la valeur de l’animal, avec une moyenne autour de 45%. Si la moitié de la valeur vient de la peau, ce n’est plus du recyclage, mais une industrie, qui a bien pour but la rentabilité.
Une rentabilité non négligeable d’ailleurs. En France, la maroquinerie se porte plutôt (très) bien. Le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises du secteur a presque doublé ces 10 dernières années, passant de 1,8 milliards d’euros en 2010 à 3,4 milliards d’euros 2018. Pour les grandes marques de luxe, la maroquinerie et la chaussure représentent entre 60 et 75% de leur chiffre d’affaires.
Si on considère le secteur du cuir en entier en France, il représente 25 milliards dʼeuros de chiffre dʼaffaires, dont 10,6 milliards d’euros à l’export. Au niveau mondial, la consommation de cuir a atteint 195 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015.
La France se positionne au 3e rang mondial d’exportations de produits de maroquinerie. Mais elle est aussi le 4e importateur mondial. De fait, en France on fabrique surtout des sacs de luxe, qui sont exportés, mais on achète plus de sacs en cuir de fast fashion, qui sont importés, principalement d’Asie.
Or, en France la consommation de viande recule de 4% chaque année, ce qui, en vingt-cinq ans, a divisé par deux la quantité de peaux disponibles.
Bonne nouvelle! vous allez me dire.
Sauf que.. pas complètement.
La souffrance animale
Pour palier à ce manque de peaux, les marques de luxe investissent dans des tanneries, voire créent des fermes d’élevage. On sort donc complètement de l’idée qui voudrait que le cuir soit du recyclage.
Chaque année dans le monde plus d’un milliard d’animaux sont tués cruellement pour le commerce du cuir, des vaches aux veaux, en passant par les chevaux, les agneaux, les chèvres, les cochons, les chiens et les chats.
D’autant plus que des enquêtes révèlent d’horribles maltraitances. La majeure partie du cuir produit dans le monde provient de Chine, où, malgré des années de campagnes menées par des associations de protection animale, il n’existe toujours pas de sanctions contre la maltraitance animale dans l’industrie des peaux.
Impact humain
Mais je sens déjà que vous allez me dire : “c’est ce qui se passe en Asie. En Europe, on a des normes. Tant qu’on a un sac fabriqué en Europe, ça va.”
Sauf que … non.
En Europe
Si vous avez vu le numéro de Cash Investigation sur le luxe, vous avez peut-être déjà découvert les pratiques douteuses qui se pratiquent dans les tanneries en Italie.
Dans le quartier du cuir d’une ville de Toscane, pas loin de Florence, des centaines de Sénégalais, petites mains du luxe, travaillent dans des conditions très précaires. Ils travaillent jusqu’à 13 heures par jour, dans un bâtiment affichant parfois 45°C et déplacent des centaines de peaux chaque jour qui pèsent entre 20 et 30 kilos. Un tiers des travailleurs sont intérimaires (6 fois plus qu’en France), ils sont payés au rabais, avec jusqu’à 4 mois de retard, et les heures supplémentaires ne sont pas déclarées. Les accidents du travail sont fréquents, et non déclarés. Dans les périodes de forte production, les sécurités des machines sont désactivées, et il arrive que des phalanges de doigts soit coupées.
Et ça, c’est sans même parler du fait que les entreprises du luxe ne paient pas leurs impôts. Mais, ça, c’est une autre histoire. Pour la connaitre, continuez à regarder ce numéro de Cash Investigation (à partir de 48:30). L’équipe d’Élise Lucet a souvent des choses intéressantes à raconter.
Revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos peaux. [Ceci était une parenthèse humour noir.]
La production européenne a quand même un avantage, c’est que la pollution est limitée.
En Asie
Parce que sinon, les tanneries ce n’est pas vraiment ce qu’on fait de mieux en termes d’écologie. En 2012, la Blacksmith Institute, une ONG, qui travaille pour réduire la pollution dans les pays en voie de développement, a ainsi inclus les tanneries parmi les dix industries les plus toxiques à l’échelle mondiale.
En même temps, quand on sait que les peaux brutes qui arrivent dans les tanneries subissent entre 25 et 30 opérations, ce n’est pas étonnant que les tanneries cherchent à aller au plus vite pour rendre les peaux imputrescibles, et que l’écologie ne soit pas leur première préoccupation.
Vous vous souvenez que je vous disais qu’il y avait 2 méthodes de tannage. On y arrive justement.
80% de la production mondiale de cuir est réalisée avec un tannage minéral. Si elle a l’avantage d’être rapide, cette méthode de tannage est extrêmement toxique. Elle implique l’utilisation de produits chimiques comme le formaldéhyde, l’arsenic, le chrome, le plomb, le cyanure, l’ammoniaque, et le mercure, qui se retrouvent ensuite dans les eaux usées par les tanneries. Dans les pays développés, des législations strictes limitent l’impact en forçant à traiter les eaux usées. Mais ce n’est pas le cas dans les pays en développement, où 80% de la production mondiale de cuir est tannée.
À Dhaka, au Bangladesh, 15.000 travailleurs (dont certains âgés d’une dizaine d’années) travaillent dans les quelques 200 tanneries de la ville. Sans gants ni masque, la plupart développent des maladies chroniques de la peau, insuffisances respiratoires et cancers.
Horreur de la chimie, depuis quelques années, certaines tanneries utilisent une autre méthode à base d’ingrédients naturels. (écorce d’arbre, racines, feuilles, fruits, etc.). C’est ce qu’on appelle le tannage végétal. Par raccourci, “cuir végétal”, un joli nom qui n’a rien de végétal, sinon que le cuir animal est tanné avec des ingrédients végétaux.
Une bonne solution ?
Pas vraiment.
L’illusion du cuir végétal
Si historiquement, les ingrédients utilisés pour tanner le cuir étaient naturels, aujourd’hui, à de rares exceptions près, ils font l’objet de modifications chimiques.
Surtout, l’impact sur l’environnement n’est pas négligeable, et génère une très forte pollution.
1/ Pour obtenir les tanins provenant des écorces et du bois il faut abattre des arbres.
2/ Ces écorces et bois sont ensuite traités pour obtenir les extraits tannants.
Si le cuir végétal a le vent en poupe ces jours-ci, son impact environnemental n’est qu’à peine inférieur à celui du cuir tanné au chrome.
Higg donne ainsi un indice de 163 pour le cuir tanné au chrome, et 162 pour le cuir tanné au végétal.
(PS : l’alpaga est à 283, la soie à 681… CQFD. On en reparlera.)
Les véritables alternatives végétales au cuir
Si vous nous suivez toujours, vous êtes peut-être désespéré.e. On vous rassure tout de suite, aujourd’hui il y a de nombreuses alternatives 100% végétales !
Le Liège, souple et résistant, peut se travailler comme le cuir. On utilise la partie extérieure de l’écorce du chêne-liège pour faire cette matière. Son prélèvement, tous les 10 ans, ne nuit pas à la croissance de l’arbre, puisqu’il en produit naturellement. Elle a un indice Higg de 14.
L’eucalyptus, inventé par l’entrepreneur allemand Fabian Stadler, qui a eu l’idée d’utiliser ce matériau très robuste pour créer des ceintures.
Le champignon, c’est un laboratoire italien qui a développé cette matière, à partir des “chapeaux” de champignons et sans tannage chimique. Entièrement biodégradable, le « Muskin » (mushroom + skin) ressemble à s’y méprendre à du suede. Pour l’instant, nos tests sur la matière ne sont pas concluants, et elle reste très cher.
L’ananas, développé par l’espagnole Carmen Hijosa. Elle a eu l’idée d’utiliser les feuilles des plantes sur lesquelles poussent le fruit pour produire une alternative écologique au cuir. Cette matière, dénommée Piñatex® est celle que WWoW utilise principalement. Elle a un indice Higg de 60 (vs. 160 pour le cuir tannage végétal).
Le raisin, fabriqué à partir de la fibre contenue dans les peaux et les graines du raisin en utilisant le marc issu de la production de vin. C’est un des petits derniers dans le monde du cuir vegan, qu’on a hâte de tester !
L’éco-cuir : l’invention de Richard Wool est l’une des alternative les plus prometteuses. Elle a d’ailleurs gagné le prix World Green Design en 2014. Entièrement composé de fibres naturelles, ce matériau pourrait bien chambouler l’industrie dans les prochaines années. On n’en sait pas trop plus pour l’instant.
Voilà, maintenant vous savez d’où vient le cuir, comment il nuit aux animaux, aux humains qui le fabriquent, et à l’environnement. L’idée n’est pas de changer votre garde-robe du jour au lendemain, mais de savoir que des alternatives mieux produites existent. Qui sont belles, durables, résistantes et ne nuisent à personne.
C’est pour ça que j’ai créé WWoW.
Pour participer à la création d’un monde plus respectueux de la Terre et de ses habitants et montrer qu’une autre mode est possible.
Sources et lectures complémentaires
Bonne Gueule
France Télévision
Universalis
La Rue des artisans
CNC, 2017, CNC
Une filière cuir à la peau dure, Le Monde, 9 Février 2017
Cuir n’est pas vegan qui veut, Le Monde, 9 Février 2017
Tout-en-cuir
PeTA
Statista, 2018
Jacques Demeter
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