Le 8 mars dernier, et à nouveau ce 1er juillet des affiches avec son visage et l’inscription Merci Simone ont fleuri dans les rues des grandes villes, et surtout à Paris. Portées par un collectif artistique, ces affiches voulaient montrer l’importance qu’a eu une femme, Simone Veil, pour tant d’autres, alors qu’elle s’apprêtait à entrer au Panthéon, 5e femme de l’histoire, sur les 78 Personnes qui y reposent.

Une femme au parcours exceptionnel, et qui, à l’époque où seules 40% des femmes travaillaient, a non seulement voulu travailler, mais a surtout engagé tout son temps, sa volonté et son énergie pour les causes auxquelles elle croyait. La loi sur l’IVG le démontre et fait signe de phare dans l’océan alors même que Brett Kavanaugh s’apprête à entrer à la Cour Constitutionnelle aux États-Unis.

N’oublions jamais : ce qui nous semble acquis aujourd’hui, ne l’a pas toujours été, et ne le sera pas toujours à moins que nous le défendions.

Le contexte

Les conditions d’avortement à l’époque

Simone Veil arrive au Gouvernement en 1974 et rapidement le dossier sur l’avortement devient prioritaire, par son urgence. Jusqu’au Premier Ministre, qui l’a pourtant appelée au Ministère de la Santé, Jacques Chirac considère que l’avortement est une question de bonnes femmes. Il ira même jusqu’à dire : « Les femmes se sont toujours débrouillées. Elles continueront à se débrouiller. »

Pourtant, tous les jours des cars partent en direction des Pays-Bas et du Royaume-Unis, où les femmes les plus riches vont se faire avorter. La situation dans les couches populaires est tout autre, et les femmes ont alors recours à des faiseuses d’anges pour des avortements clandestins qui font de nombreux dégâts. Certaines femmes en ressortent stériles, ou mutilées à vie, et près de 5 000 femmes en meurent chaque année. Il faut effectivement se figurer ce que peut avoir comme conséquence d’avorter à l’aide d’une aiguille dans l’utérus…

En 1974, ce sont près de 300.000 avortements clandestins qui ont lieu chaque année. Si beaucoup passent entre les mailles du filet judiciaire, ce n’est pas le cas de toutes.

« La Loi reste la Loi »

La loi en vigueur à l’époque, répressive, date de 1920. Elle avait été passée avec l’objectif de relancer la natalité dans un contexte d’après-guerre. Ces lois réprimant l’avortement atteindront leur paroxysme dans les années 1940, sous Vichy, et notamment en 1943, lors de la fameuse affaire Marie-Louise Giraud, faiseuse d’anges, guillotinée pour avoir aidé à avorter.

Pourtant, en 1967 est votée la Loi sur la Contraception par Lucien Neuwirth. En 1971, Le Nouvel Obs publie le Manifeste des 343 femmes qui reconnaissent avoir avorté, parmi lesquelles des célébrités telles Catherine Deneuve ou Françoise Sagan. En 1972, la réussite de la défense de Marie-Claire par Gisèle Halimi dans le procès de Bobigny complète l’espoir d’un changement de la loi.

Mais en 1973 l’Assemblée Nationale vote contre projet de loi porté par Jean Taittinger, alors même qu’il était plus prudent, et ne portait que sur les cas d’avortement qui présenteraient un cas de danger pour la mère. Le projet est alors peu soutenu par le Président Georges Pompidou.

On voit donc que si la société change, le changement de société nécessite l’implication des pouvoirs publics. En 1974, alors que Simone Veil prépare sa loi, tout le monde se prépare à la bataille juridique.

La préparation de la bataille : Écouter les parties prenantes

En comparant les législations Simone Veil comprend la nécessité que la femme reste la seule décisionnaire, et qu’elle ne doit pas avoir à passer par une Commission qui examinerait son cas, comme cela se fait ailleurs

Lors de discussions religieuses ensuite, elle réalise que le problème touche large, jusque dans le milieu catholique.

La campagne « Laissez-les vivre » débutée l’année précédente, avec le projet de loi Taittinger, recommence avant même que le contenu de la loi soit divulgué. Les autorités religieuses veulent alors se distinguer de ces mouvements liés à des extrémistes et vont coopérer. Elles insistent sur l’importance que la  liberté de conscience doit être préservée et que personne ne soit obligé à pratiquer l’IVG.

Enfin, en consultant le Planning Familial et les médecins, Simone Veil comprend la détresse des femmes et surtout les dangers des avortements sauvages.

Dans la société post-mai 1968 on pourrait croire que la société a changée, mais le milieu médical reste très conservateu et accueille froidement la Ministre de la Santé. Elle présente le triple défaut d’être une femme, favorable à l’IVG, et d’être juive.

La bataille : Unir au-delà des différences

La bataille publique

À peine le texte déposé, une minorité de l’opinion très efficace se déchaine. Simone Veil raconte, dans son autobiographie, les lettres abominables d’une extrême-droite catholique et antisémite, en décalage avec la société, qu’elle reçoit. Elle comprend leur douleur et souligne : « Les changements de société s’effectuent toujours dans la douleur. »

Simone Veil doit également faire avec les attaques personnelles et il n’est pas rare qu’elle retrouve des croix gammées dans sa rue, ou qu’elle reçoive des injures en pleine rue. On ne peut qu’imaginer la difficulté de ces attaques pour une rescapée de la Shoah. Forte de caractère, et convaincue de là où elle va, elle tient bon.

Au fur et à mesure que la présentation à l’Assemblée se rapproche, le stress monte. En effet, à la même époque des médecins ayant pratiqué l’IVG se font assassinés aux États-Unis. Un dernier coup de théâtre, le Président du Conseil de l’Ordre des Médecins se dit totalement opposé au projet de loi.

La bataille politique

Le 26 Novembre 1974 Simone Veil ouvre le débat à l’Assemblée Nationale et a cette phrase restée célèbre : «Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme. Je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes.» Et en effet, seulement l’Assemblée ne comporte que 9 femmes sur 490 députés !

S’en suivent 3 jours de débats intenses, avec certaines prises de paroles qui vont jusqu’à la diffamation, et pour lesquelles les soutiens seront d’une importance capitale : Valérie Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Michel Poniatowski, et les médecins dirigeant les commissions parlementaires vont soutenir Simone Veil. Le soutien du parlementaire Eugène Claudius-Petit sera également décisionnaire selon Simone Veil. Choisissant la compassion face à ses convictions, le cas fait école, de la même manière que son opposition à la loi Taittinger avait joué dans l’échec du projet de loi en 1973.

La force de la rhétorique

Le discours du 26 Novembre 1974 de présentation de la loi à l’Assemblée Nationale est resté mémorable, car Simone Veil est parvenue à parler à tous, en évoquant les craintes de chaque groupe, mais en insistant sur le besoin de légiférer compte tenu du désordre créé par les milliers d’avortements clandestins annuels. Elle tient une ligne claire, qui n’a pas pour but d’inciter à l’avortement, mais bien de sortir les femmes de la détresse. « C’est toujours un drame, et cela restera toujours un drame.»

Finalement, après 25h de débat, c’est entre 3 h 30 et 4 heures du matin, dans la nuit du 28 au 29 novembre, que la loi est votée par 284 voix contre 189. Un tiers des voix de droite et la totalité des voix de gauche.

Unir au-delà des différences

Cette loi a d’autant plus marqué l’histoire qu’il s’agissait d’une loi de gauche dans un gouvernement de droite. Cela montre combien Simone Veil a eu la force d’affirmer ses convictions, au-delà des étiquettes, et avec une intelligence exceptionnelle ! Elle a réussi à comprendre les différents, les prendre en compte mais au final les dépasser pour aller au-delà et servir une cause supérieure. Ce qu’elle continuera de faire toute sa vie, aussi bien en tant que première Présidente du Parlement Européenne, qu’au Conseil Constitutionnel.

N’oublions jamais : ce qui nous semble acquis aujourd’hui, ne l’a pas toujours été, et ne le sera pas toujours à moins que nous le défendions. Simone Veil, qui s’est toujours engagée pour la Mémoire de la Shoah, ne cessait de le rappeler. Sa mémoire doit continuer de nous le rappeler.

Parcours exceptionnel à femme exceptionnelle au caractère certes fort mais qui ne faisait pas de compromis et qui n’a pas oublié pour autant sa vie de famille. Un modèle pour tous, femmes. Et hommes.

Merci Simone !