Imaginez un congrès entier avec 18.000 femmes réunies, venant des 56 états et territoires des États-Unis, pour parler en toute liberté de sujets comme la contraception, l’avortement, les droits des homosexuelles, la violence conjugale, l’exclusion des employées de maisons et les lois du travail. Et ce, alors que la justice ne protège l’avortement que depuis 4 ans (1973).

Cette conférence c’était la National Women’s Conference qui s’est tenue à Houston du 18 au 21 Novembre 1977. Dans cet article, nous vous présentons 2 des 30 femmes qui ont organisé cet incroyable événement : Gloria Steinem et Bella Abzug.

La scène de la National Women’s Conference en 1977 à Houston.
© Sam C. Pierson Jr./Houston Chronicle

Gloria Steinem

Une enfance sur la route

Née en 1934, la vie de Gloria Steinem est marquée par le voyage, et son enfance sur la route, sans école, la fait échapper “au lavage de cerveau opéré dès les petites classes sur les filles”. Cette enfance, et son père anticonformiste, lui transmettra l’habitude de braver les règles.

Elle rompt ses fiançailles et part étudier en Inde avec une bourse pendant 2 ans, évitant ainsi le happy end du mariage, “l’inverse d’un commencement”. De retour à New-York, elle devient journaliste, et la thématique des femmes s’impose rapidement. Dans les pas de sa grand-mère Pauline Perlmutter Steinem, qui était présidente de la Ohio Woman Suffrage Association, elle aborde progressivement les thèmes féministes. C’est avec son article « I Was a Playboy Bunny », dans lequel elle relate son expérience de serveuse en tenue légère au Playboy Club tenu par Hugh Hefner, qu’elle se fait remarquer en 1963.

La création de Ms.

À partir de 1968 elle aide à créer le magazine New York et en rédige la rubrique politique, ce qui était inhabituel à l’époque pour une femme. Elle réfléchit à la création d’une nouvelle revue pour les femmes, qui traiterait des questions contemporaines d’un point de vue féministe, et non de mode ou de beauté. Ainsi naît le magazine Ms., qui paraît pour la première fois en décembre 1971 sous la forme d’un supplément à l’hebdomadaire New York. Les 300.000 exemplaires à l’essai se vendent en 8 jours à travers tout le pays. Gloria Steinem en sera la rédactrice en chef pendant 15 ans, et siège toujours au conseil consultatif aujourd’hui.

Gloria Steinem à la 1977 National Women’s Conference

En juillet 1971, Gloria Steinem fonde le National Women’s Political Caucus en juillet 1971 avec Betty Friedan, Shirley Chisholm et … Bella Abzug. Petit teaser – mais on reviendra plus bas sur le parcours incroyable de Bella.

La National Women’s Conference

En 1975 Gloria Steinem et Bella Abzug sont nommées avec 30 autres femmes par le président Jimmy Carter pour organiser la National Women’s Conference en 1977. Pendant 2 ans, les organisatrices sillonnent les États-Unis pour organiser l’événement. Plus de 18.000 femmes viendront de tous les états pour assister à cet incroyable conférence. Gloria Steinem écrira dans son autobiographie que « ce fut l’un des évènements les plus bouleversants de [sa] vie ».

Chaque femme, sans même s’en rendre compte, peut en inspirer une autre. Par une allure, un regard, un discours. Nous sommes toutes construites par d’autres femmes.

Gloria Steinem – entretien avec Le Monde – 8 Mars 2020

Pendant la décennie suivante, elle continue de s’impliquer dans diverses organisations politiques et devient l’une des porte-parole les plus écoutées du mouvement de libération des femmes. Elle contribue à la création de plusieurs associations, comme la Coalition of Labor Union Women, Voters for Choice ou encore Women Against Pornography. 
En 2005, elle co-fonde avec Jane Fonda et Robin Morgan le Women’s Media Center, une organisation qui vise à « rendre les femmes visibles et puissantes dans les médias ».

En novembre 2013, Gloria Steinem reçoit la médaille de la Liberté des mains de Barack Obama.
© Win McNamee/Getty Images North America

Bella Abzug

Le franc-parler et l’audace

Née en 1920, Bella Abzug, est connue pour son franc-parler et son audace (elle aurait fait son premier discours dans une station de métro à 11 ans!). Elle a milité pour les droits des femmes, jusqu’à être la première femme à se présenter au Sénat.
Lorsque Harvard lui refuse son admission en Droit en raison de son genre, elle comprend les défis rencontrés par les femmes au travail et en politique. Elle sera finalement diplômée de la Columbia University, où elle se spécialise en droit du travail et devient rédactrice en chef de la Columbia Law Review. Elle s’engage avec ferveur dans son métier d’avocat, défendant les victimes des accusations anticommunistes de McCarthy, aide à l’esquisse du Civil Rights Act de 1954, et au Voting Right Act de 1965.

Parallèlement, elle s’implique en militant pour la paix et le désarmement dans les années 1960. En 1961, elle aide à organiser la Women Strike for Peace (Grève des Femmes pour la Paix), organisation dont elle aura la direction jusqu’en 1970.

La naissance d’un engagement politique

Mais cela ne lui suffit pas, et pour avoir encore plus d’impact sur le processus politique, Bella Abzug s’engage dans la course au Congrès. En septembre 1970, contre toutes attentes, elle gagne son siège à la Maison des Représentants et devient la première femme juive à siéger. Son mandat est marqué par sa lutte pour les droits des femmes et contre la guerre au Vietnam. Elle est réélue en 1972 et en 1974, mais préfère devenir la première femme à être candidate au Sénat en 1976. Elle perd et se présente à l’élection de la Mairie de New-York. Mais elle perd la primaire, montrant la fin du vent en poupe du mouvement féministe.

Bella Abzug a aussi fondé le National Women’s Political Caucus en 1971 avec Gloria Steinem et Betty Friedan pour augmenter la participation des femmes au gouvernement.

Dans les années 1980 et 1990, Bella Abzug a poursuivi son travail sur de nombreuses causes. En 1990 elle crée avec Mim Kelber la Women’s Environmental Development Organization, qui prône l’égalité des femmes dans les politiques globales.

C’est ce qui est sous le chapeau qui compte !
It’s what’s under the hat that counts!

Bella Abzug était connue pour ses grands chapeaux, mais surtout pour sa grande voix, et a laissé son empreinte sur la politique américaine en tant que championne des droits des femmes et militante pacifiste déterminée. D’où ses surnom de “Battling Bella”, et “Hurricane Bella”.
Elle a été la première à demander l’impeachment de Nixon, la première à demander la paix au Vietnam.

Elle oscillait toujours adroitement entre l’activisme communautaire et le pouvoir institutionnel et gouvernemental en faisant preuve d’intelligence, de charisme et de tactique brillante que ce soit dans les tribunaux, au Congrès, aux Nations Unies ou dans la rue. Et ce tout en préservant une farouche intégrité et n’a jamais hésité à prendre des risques pour défendre ses idéaux.
Son décès le 31 Mars 1988 à New York, des complications d’une opération du coeur, a laissé un certain vide dans le paysage politique.

Mrs America

Vous vous en doutiez peut-être, c’est la série Mrs America qui nous a embarquées dans cette histoire de la Deuxième Vague Féministe avec Bella Abzug et Gloria Steinem. Si vous ne l’avez pas vue, la série retrace la bataille pour l’ERA (Ethical Rights Amendment) dans les années 1970 qui prévoyait d’inscrire dans la Constitution américaine l’égalité des droits entre les sexes.

En janvier 2020 la Virginie a été le 38e Etat à ratifier l’amendement, et théoriquement le dernier nécessaire. Cependant, la bataille juridique est toujours en cours car le délai pour que 38 Etats signe est dépassé, et que 5 Etats l’ont révoqué depuis.

Cette bataille juridique n’entache en rien les avancées que Bella Abzug et Gloria Steinem ont permis pour faire avancer l’égalité entre hommes et femmes. On espère que vous repenserez à elles avec les boucles Bella et Gloria et que vous reprendrez le flambeau haut et fort !

Sources

Encyclopédie Universalis

Entretien de Gloria Steinem avec Le Monde

http://www.gloriasteinem.com/

History.com

Encyclopédie Britannica

Abzug Institute

Série Mrs America (actuellement sur Canal +)